LA GENÈSE DU SYSTÈME SOLAIRE :
DES PISTES DIFFÉRENTES ÉMERGENT
Les découvertes en astronomie sont presque quotidiennes. Il y a donc des choses définitivement établies (en principe !) et des découvertes qui demandent à être confirmées et qui feront elle-mêmes l'objet de découvertes complémentaires, voir d'abandon, et ainsi de suite…
C'est pourquoi, lorsqu'on écrit un article sur des nouvelles découvertes, hypothèses… il est certain que les choses évolueront dans un sens ou un autre. Il est donc bien opportun de mettre la date d'écriture de l'article du sujet traité.
Le sujet traité ici concerne des pistes différentes de la genèse du Système Solaire qui émergent. Cet article a été écrit en mars 2023.
COMMENT S’EST FORME LE SYSTEME SOLAIRE ?
Comment a-t-il acquis sa structure et sa physionomie actuelle ? Les grandes lignes du processus sont connues depuis longtemps : il y a 4,5 milliards d’années, un nuage de gaz s’effondre sur lui-même au sein de la Voie lactée, donnant naissance au Soleil. Autour de lui, un disque de poussières finit par former des grumeaux qui deviendront les planètes. Sauf qu’au début des années 1980, lorsque les premiers modèles informatiques cherchent à reproduire cette histoire, ils échouent.
Leur but : retrouver le monde observé aujourd’hui grâce aux seules lois de la gravitation et de la mécanique des fluides appliquées aux conditions qui régnaient lors de la naissance du système solaire. Ils simulent des agrégations de roches dans un nuage de gaz et de poussières entourant un Soleil naissant, calculent les orbites de planètes, étudient la dissipation des gaz, la formation de cœurs planétaires… mais jamais leurs résultats ne ressemblent parfaitement à la réalité observée.
Ils s’en écartent précisément sur six points fondamentaux, qui deviennent autant d’énigmes à résoudre. Pourquoi voit-on tant de cratères sur la Lune ? Pourquoi Mars est-elle si petite par rapport à la Terre ? Comment les orbites des planètes sont-elles devenues elliptiques ? Par quelle magie deux types de roches se mélangent-ils dans la ceinture d’astéroïdes ? D’où viennent ceux qui gravitent aux côtés de Jupiter ? Et, enfin, comment le noyau de cette géante gazeuse a-t-il pu se former si vite ?
Ce n’est qu’en 2005 que l’équipe d’Alessandro Morbidelli, de l’Observatoire de Nice, découvre que certains événements de la partie finale de cette grande genèse planétaire permettent de résoudre trois des six agaçantes questions. Sa simulation, baptisée « modèle de Nice » et devenue une référence, explique la façon dont, 700 millions d’années après la naissance du Soleil, Saturne et Jupiter entrent en résonance. Les deux planètes se trouvent dans une configuration où Saturne fait exactement un tour du Soleil pendant que Jupiter en fait deux.
Les perturbations entre leurs orbites s’amplifient alors peu à peu, comme le mouvement d’une balançoire que l’on pousse régulièrement. Leurs trajectoires s’étirent donc et déforment violemment les orbites d’Uranus et de Neptune. Celle-ci, alors située entre Saturne et Uranus, est propulsée bien au-delà et percute le disque de planétésimaux en périphérie du système solaire. Une pluie de météores s’abat alors sur le système solaire (ce qui explique pourquoi la Lune est constellée d e cratères et pourquoi un cortège d’astéroïdes s’installe autour de Jupiter), et les orbites des planètes restent légèrement elliptiques. Une partie du problème était donc résolue… et la suite ne se fit guère attendre.
UNE GRANDE VIRÉE DE BORD
En 2011, les planétologues de Nice réitèrent l’exploit. Nommé Grand Tack (« la grande virée de bord »), le nouveau modèle sorti de leurs calculateurs se penche sur une période bien antérieure de l’histoire de notre système, qui commence 3,5 millions d’années seulement après la naissance du Soleil, une fois les géantes gazeuses formées. Publié en collaboration avec des astronomes de l’université de Bordeaux (Sean Raymond), de la Nasa (Avi Mandell) et du Planetary Science Institute de Tucson (David O’Brien), ce modèle part de l’hypothèse que Jupiter et Saturne ne sont pas nées à l’endroit où elles se trouvent aujourd’hui. Il révèle un ballet cosmique d’une brutalité inattendue, qui se déploie sur 1,5 million d’années et explique avec une parfaite élégance deux des trois énigmes restantes : la taille anormalement réduite de Mars et la composition hétéro gène de la ceinture d’astéroïdes.
C’est en se concentrant sur la taille de Mars qu’Alessandro Morbidelli a développé sa théorie du Grand Tack. Après les succès de sa simulation de 2005, le planétologue italien s’échinait à améliorer les modèles afin qu’ils donnent naissance à une planète rouge à la bonne taille. Car si les simulations donnaient de bons résultats pour l’orbite de Mars et pour sa composition chimique, sa taille restait incompréhensible. La planète rouge qu’elles engendraient était de l’ordre d’une demi-masse terrestre, alors que Mars fait seulement 10 % de la masse de la Terre. En 2009, le chercheur tombe sur une publication tout juste signée d’un certain Brad Hansen, de l’université de Californie. L’idée de cet astrophysicien : simuler la formation des planètes à partir non pas d’un disque de poussières et de gaz comme c’est habituellement fait, mais d’un étroit anneau de matière. En partant de cette hypothèse, le scientifique trouvait la bonne taille pour Mars. Brad Hansen s’était en fait inspiré d’une étoile à neutrons nommée PSR 1257+12, autour de laquelle s’est formé un anneau de matière et non un disque, et qui semble avoir donné naissance à trois planètes. Alessandro Morbidelli décida alors de parer le Soleil d’un anneau de ce type et de faire tourner les modèles de formation des planètes. Et réalisa à sa grande surprise qu’il marchait mieux que les modèles habituels !
LES 6 ÉNIGMES RÉSOLUES PAR LES NOUVEAUX MODÈLES
1) La petite taille de Mars
Pourquoi la planète rouge est-elle dix fois moins massive que la planète bleue ? Alors que Mars s’est formée dans la même région du système solaire que Vénus et la Terre, sa masse est bien plus petite, comme si elle avait eu moins de matière à sa disposition lors de sa formation. Quel est donc le phénomène responsable de sa petite taille ?
Alors qu’elle était encore la seule planète arrivée à maturation, la planète Jupiter s’est mise à s’approcher rapidement du Soleil. En moins de 100 000 ans, elle a atteint la place actuelle de Mars. En chemin, son influence gravitationnelle a repoussé tous les petits planétoïdes rocheux vers le Soleil, au point qu’ils forment un anneau compact.
C’est à l’intérieur de celui-ci que se créeront ensuite les planètes telluriques, dont la Terre et Mars. Mais la planète rouge, née en bordure de l’anneau, a eu moins de roches à agglomérer et est restée rachitique. Elle aujourd’hui dix fois moins massive que la Terre.
Si Jupiter a repris sa place depuis cet événement capital, c’est que Saturne s’est mise à son tour à migrer vers le Soleil. Cette autre géante a rattrapé Jupiter et l’a forcée, toujours par le jeu des forces gravitationnelles, à faire machine arrière !
2) La composition des astéroïdes
Pourquoi la ceinture d’astéroïdes située entre Mars et Jupiter est-elle composée de deux types de corps si différents ? S’y mélangent, pêle-mêle, des blocs de matière très secs, les silicates, et d’autres, carbonés, riches en glaces d’eau et autres éléments volatils .Quel est donc le phénomène à l’origine du mélange ?
3) Les Troyens de Jupiter
D’où viennent les Troyens, ce groupe d’astéroïdes de toutes tailles qui accompagnent par milliers la planète Jupiter, en des positions singulièrement stables ? Et comment expliquer qu’ils n’aient pas été éjectés lors des différentes perturbations qu’a connues le système solaire au cours de son histoire ?
4) La faible excentricité des orbites
Pourquoi les trajectoires des planètes géantes sont-elles légèrement elliptiques ? Certes, les planètes tournent autour du Soleil en suivant des ellipses. Mais selon les lois de la mécanique céleste, les planètes géantes auraient dû se former sur des orbites circulaires. Quel phénomène est venu perturber cette géométrie ?
Pourquoi l’orbite des planètes n’est-elle pas circulaire ?
Aucune loi de la mécanique céleste ne s’oppose à ce que l’orbite d’une planète soit circulaire. Mais quand plusieurs planètes tournent autour d’une étoile, comme les huit de notre système solaire, elles s’attirent les unes les autres, imprimant une forme plus ou moins elliptique à leur trajectoire. Et comme elles se trouvent périodiquement dans la même configuration, cela accentue la déformation de leur orbite… qui devient elliptique. Et qui devrait même, en réalité, être encore plus excentrique.
L’explication est à chercher dans l’histoire de la formation des systèmes solaires. A l’origine gravitait autour de notre toute jeune étoile un immense nuage de poussière agité de mouvements anarchiques. Alors, comment expliquer que les planètes se soient mises à tourner bien sagement ensemble ? Cela tient à un mécanisme naturel de régulation qui favorise les orbites circulaires et qui repose sur une loi géométrique simple : deux cercles de même centre ne peuvent pas se couper.
L’orbite des planètes, une affaire de géométrie
Les orbites circulaires s’imposent donc car elles entraînent moins de collisions ; elles sont même la condition de la formation des planètes. De fait, aux premiers temps du système solaire, des collisions incessantes provoquaient la formation et la destruction continuelles de corps. Les seuls à avoir atteint une taille suffisante sont donc ceux qui suivaient les trajectoires les plus circulaires. Si une certaine ellipticité est visible aujourd’hui, elle est le résultat des interactions gravitationnelles.
Cependant, ces ellipses ne sont pas parfaites : elles ne se referment pas tout à fait. Ainsi, la forme de l’orbite terrestre a un cycle de 413 000 ans, à l’intérieur duquel son excentricité est multipliée par dix avant de revenir à sa valeur initiale.
5) Les cratères de la Lune
Pourquoi la surface lunaire est-elle criblée de tant de cratères ? L’énigme apparaît avec les échantillons de roches lunaires rapportés en 1969 par Neil Armstrong. Leur analyse révèle que ces cratères ont été créés 700 millions d’années après la naissance du système solaire. Comment expliquer une pluie d’astéroïdes si tardive ?
Différents mécanismes de formation des cratères ont été envisagés, bien que la plupart des cratères soient des cratères d’impact.
La formation de nouveaux cratères est étudiée par un programme de surveillance de la NASA. Ainsi, le 17 mars 2013, un impact causé par un corps d’environ 40 kilogrammes est repéré dans Mare Imbrium.
Selon le Modèle de Nice, élaboré précisément à la suite de l’analyse d’échantillons lunaires, la plupart des cratères actuels de la Lune seraient consécutifs au Grand bombardement tardif survenu plusieurs centaines de millions d’années après la formation du Système Solaire.
6) La formation des géantes gazeuses
Comment Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune, ces monstres aux noyaux larges de plusieurs milliers de kilomètres entourés d’une épaisse atmosphère gazeuse, ont-ils pu se former à partir des poussières de la nébuleuse primitive ? Et assez rapidement pour que le rayonnement solaire n’ait pas fait évaporer tout le gaz qui y était présent ?
Le modèle de Nice est un scénario décrivant correctement la formation et l’évolution du système solaire. Il propose que les planètes géantes aient migré depuis une configuration initiale compacte vers leurs positions actuelles, longtemps après la dissipation du disque de gaz protoplanétaire. Cette migration planétaire explique les évènements tel que, le bombardement massif tardif du système solaire interne, la formation du nuage de Oort, l’existence des populations de petits corps du système solaire incluant la ceinture de Kuiper, les astéroïdes troyens de Jupiter et de Neptune, et le nombre des objets en résonance transneptunienne dominés par Neptune. Le modèle de Nice est largement accepté comme le modèle le plus réaliste connu, pour expliquer l’évolution du système solaire, mais il ne parvient pas à expliquer complètement, la formation de la ceinture de Kuiper.
PS : cet article est inspiré de la revue “Science & Vie”
Non, Jupiter n’a pas brisé dans l’œuf la formation d’une planète, conduisant à cet anneau de petits corps que l’on appelle la ceinture principale d’astéroïdes. Bien au contraire, cette région aurait été emplie par la géante. C’est du moins ce que propose un nouveau scénario, étonnant, pour la formation de notre Système solaire.
Dans la Voie lactée, des nuages moléculaires poussiéreux et froids — une dizaine de degrés au-dessus du zéro absolu — tournent autour du bulbe central et pénètrent de temps à autre dans les bras spiraux, où le milieu est plus dense. Des ondes de chocs s’y produisent alors, provoquant parfois leur effondrement gravitationnel, ce qui les compriment, faisant grimper leur température. Certaines régions de ces nuages deviennent très denses et se trouvent entraînées dans un mouvement de rotation avec une force centrifuge qui s’oppose à la contraction gravitationnelle perpendiculairement à cet axe de rotation, ce qui provoque l’aplatissement des nuages.
Des protoétoiles naissent alors, et s’entourent d’un disque protoplanétaire où les températures peuvent dépasser quelques milliers de degrés vers le centre du disque alors qu’elles sont plus froides à plus grandes distances. Des poussières vont sédimenter au fur et à mesure que le disque se refroidit et que le gaz se condense. Le gradient thermique impose ainsi au disque un gradient chimique. Les corps qui vont se mettre à croître par condensation et accrétion de matière au plus proche du Soleil contiendront donc essentiellement des oxydes métalliques et des silicates réfractaires : c’est là que naîtront des planètes rocheuses. Plus loin, ce sont des particules glacées qui formeront des noyaux attirant de grandes quantités de gaz. On aura donc des géantes gazeuses, comme Jupiter et Saturne, et, plus loin encore des géantes aux cœurs de glace comme Uranus et Neptune.
La cosmogonie du Système solaire et de la ceinture d’astéroïdes
Ce scénario cosmogonique dans les grandes lignes vaut très probablement au moins pour notre Système solaire. Les observations des télescopes, comme Hubble, Spitzer et Herschel, pour ne citer qu’eux, laissent penser qu’il vaut aussi pour plusieurs des systèmes planétaires en formation qui ont pu être repérés. Il est soutenu également par des simulations numériques et par les données issues de l’étude des météorites et des astéroïdes dans notre Système solaire.
Cependant, malgré tout ces succès, même autour du Soleil, il demeure de nombreuses problèmes dont les solutions ne sont pas connues de façon satisfaisantes bien que l’on ait quelques idées, par exemple les barrières du champ magnétique, de la rotation et du mètre. Il y a notamment le problème de la taille de Mars : elle semble bien trop petite et trop peu massive. Les modèles numériques nourris des données observationnelles laissent en effet penser que Mars devrait être d’une dimension comparable à celle de la Terre et que plusieurs petites planètes devraient occuper la région de la ceinture principale d’astéroïdes.
Une ceinture étrangement vide et Mars trop petite
Cette ceinture, contrairement à ce que font croire le cinéma et certains documentaires, est plutôt vide. Les distances entre ses objets sont très grandes. Quant à son origine, elle ne réside pas, comme on l’a longtemps pensé, dans une collision destructrice entre deux planètes : cette ceinture ne contient environ qu’un millième de la masse de la Terre.
Le scénario retenu actuellement est celui d’une planète qui n’a pas pu se former. Les planétésimaux (des corps de 1 à 100 km) n’ont pas pu fusionner en raison de la présence de la massive Jupiter, qui se serait formée plus vite que les planètes rocheuses. Son champ de gravitation aurait inhibé cette croissance et dépeuplé la région de la ceinture d’astéroïdes. Un scénario de migration planétaire, le Grand Tack, contribuerait aussi à expliquer la petite taille de Mars et l’absence d’autres planètes dans la ceinture d’astéroïdes.
La ceinture d’astéroïdes : une région dépeuplée…
Toutefois, ces explications ne sont pas totalement satisfaisantes, notamment parce qu’au cours des dernières années, il est devenu de plus en plus évident que les petits corps de cette ceinture sont minéralogiquement très divers. Pour l’essentiel, ils ne serait pas nés là mais proviendraient de régions différentes du disque protoplanétaire.
Il existe d’ailleurs deux populations bien distinctes et qui sont dominantes. Les astéroïdes de type C sont les parents des météorites appelées chondrites carbonées. Ils devraient s’être formés dans des régions froides du disque. Viennent ensuite les astéroïdes de type S qui, eux, sont les parents des météorites silicatées. Ceux-là semblent avoir un contenu important en olivine et pyroxène, tout comme les péridotites du manteau de la Terre. Ils se seraient donc plutôt formés près du Soleil, là où sont nées Mercure, Vénus et la Terre.
… ou bien une région vide peuplée tardivement ?
Comment expliquer ce mélange étonnant ? Avec son collègue Andre Izidoro, l’astronome Sean Raymond (du Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux et un des promoteurs du scénario du Grand Tack) vient de proposer une nouvelle hypothèse révolutionnaire dans un article publié dans Science Advances.
Jupiter et ses perturbations gravitationnelles n’auraient pas dépeuplé la ceinture principale d’astéroïdes. Tout au contraire, la géante gazeuse aurait injecté des astéroïdes dans cette région qui en était auparavant dépourvue. Ces astéroïdes seraient donc pour l’essentiel des migrants nés ailleurs.
Les observations faites par le radiotélescope Alma du disque protoplanétaire qui entoure la jeune étoile HL Tauri donnent du crédit à cette hypothèse ainsi que des travaux de simulations numériques. Des phénomènes de dérives des poussières et de croissance accélérée des embryons de planètes au sein du disque protoplanétaire pourraient y creuser des anneaux fortement appauvris en poussières. Peu de planétésimaux y prendraient donc naissance et c’est dans ce vide que les astéroïdes de la ceinture principale auraient finalement pris place au début de son histoire.
Sean Raymond et Andre Izidoro ont obtenu un intéressant résultat à l’appui de leur nouveau scénario. Les simulations numériques qu’ils ont conduites rendent compte précisément des proportions d’astéroïdes C et S dans la ceinture principale. Sur son blog, Sean Raymond est tout de même prudent car il est finalement possible d’expliquer la petite taille de Mars et la structure de la ceinture d’astéroïdes aussi bien avec le modèle du Grand Tack qu’avec celui qu’il vient de proposer avec Andre Izidoro.
Chacun de ces modèles a ses points faibles et ses points forts. Du travail reste donc encore à faire. Les tests capables de réfuter ces modèles, qui pourraient être faux tous les deux, sont encore à trouver. Au final, on devrait en savoir plus sur l’origine de l’eau sur Terre dont une partie au moins aurait été apportée par l’accrétion de planétésimaux et d’astéroïdes.
Au tout début de la formation du Système solaire, il y a environ 4,5 milliards d’années, Jupiter aurait migré sur plusieurs milliards de kilomètres en direction du Soleil. C’est ce que suggèrent des simulations numériques capables de rendre compte de l’existence des astéroïdes troyens de Jupiter.
En 2005, l’astronome et planétologue Alessandro Morbidelli et ses collègues avaient publié dans Nature une série d’articles concernant des simulations numériques faisant intervenir après la formation des planètes internes – donc au moins 100 millions d’années après le début de la formation du Système solaire – des migrations des planètes géantes vers l’extérieur du Système solaire. Ce scénario permettait de rendre compte de plusieurs caractéristiques des corps célestes du Système solaire et il est rapidement devenu célèbre sous le nom de Modèle de Nice. Ces migrations rendaient compte en particulier du Grand Bombardement tardif (Late Heavy Bombardment ou LHB, en anglais), une période de l’histoire du Système solaire qui s’étend approximativement de -4,1 à -3,9 milliards d’années, durant laquelle se serait produite une notable augmentation des impacts météoritiques ou cométaires sur les planètes telluriques et dont la surface de la Lune garde des traces. Cette augmentation se serait produite sous l’effet de la migration des géantes à ce moment-là.
Les effets de la gravité du disque protoplanétaire
D’autres migrations, plus anciennes celles-là, ont été proposées quelques années plus tard par Alessandro Morbidelli et l’astronome Sean Raymond du Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux. Toujours avec des collègues, les deux hommes ont proposé une hypothèse connue désormais sous le nom de scénario du Grand Tack (que l’on pourrait traduire par « Grand virement », tacking en anglais fait référence au virement de bord d’un voilier). Il implique que Jupiter aurait migré en direction du Soleil avant de faire demi-tour sous l’influence de Saturne. Cette fois-ci, le phénomène se serait produit moins de 10 millions d’années après le début de la naissance du Système solaire, c’est-à-dire quand un disque protoplanétaire encore riche en gaz existait.
Cette migration de Jupiter en direction du Soleil se serait faite en accord avec des idées déjà avancées au cours des années 1980, quand a été développée une théorie générale des interactions entre les planètes en formation et ce disque. Elle conduit à la notion de migration de type II.
Lorsqu’une géante se forme, elle creuse un sillon appauvri en matière dans le disque mais la partie interne de celui-ci continue de tomber en direction du Soleil sous l’effet combiné de la gravité et de forces de viscosité qui conduisent la matière à chuter en spirale. Or, ce disque a un champ de gravité qui, au final, va attirer avec lui la géante qui se met donc à migrer.
Des populations de troyens fixées par une migration planétaire
Une équipe internationale d’astronomes menée par des chercheurs de l’université de Lund en Suède vient de publier un article déposé sur arXiv dans lequel il est expliqué que l’odyssée de Jupiter est encore plus mouvementée qu’on ne l’imaginait. Si la géante gazeuse est aujourd’hui sur une orbite à presque 778 millions de kilomètres du Soleil, elle aurait commencé à se former quatre fois plus loin, c’est-à-dire à plus de 3 milliards de kilomètres de notre étoile. Pour mémoire, Uranus et Neptune sont respectivement à 2,8 et 4,5 milliards de kilomètres environ du Soleil.
Jupiter aurait commencé à se former comme une planète rocheuse normale ou presque, c’est-à-dire que les poussières à l’origine des planètes au-delà de l’orbite actuelle de Mars étaient enrobées de grandes quantités de glace, de sorte que celle-ci est une composante importante de ces planètes et que la quantité de matière disponible étant plus importante que dans les régions centrales, la taille des embryons planétaires pouvait l’être aussi. On estime que c’est une fois la dizaine de masses terrestres atteinte qu’un processus d’accrétion de gaz s’est emballé conduisant à des planètes comme Jupiter et Saturne.
Dans le scénario proposé par les astronomes de Lund, Jupiter n’avait pas encore atteint ce stade d’accrétion et sa masse devait être comparable à celle de la Terre, et ce quelques millions d’années tout au plus après le début de la naissance du Système solaire. Jupiter aurait alors migré en seulement 700.000 ans vers les régions internes du disque protoplanétaire, parcourant ainsi des milliards de kilomètres, sous l’effet des interactions dynamiques avec ce disque, théorisées dans les années 1980.
Mais comment les mécaniciens célestes sont-ils arrivés à cette étonnante conclusion ? En conduisant des simulations numériques destinées à rendre compte de l’existence de deux populations d’astéroïdes bien particulières : les astéroïdes troyens de Jupiter. Il s’agit de petits corps célestes qui se trouvent piégés autour des points de Lagrange L4 et L5 de Jupiter, donc à 60° de part et d’autre de la géante sur son orbite.
Il se trouve qu’il y a plus de troyens en avant de Jupiter et ce fait curieux avait jusqu’ici défier les explications. La migration planétaire découverte par les chercheurs et les effets de résonances gravitationnelles impliquées avec des petits corps célestes lors de cette migration expliquent cette curieuse asymétrie. C’est pour cette raison que cette nouvelle migration vient d’être proposée dans les débats sur la cosmogonie du Système solaire.